La « numérisation » de l’économie, avec le développement de la production « à coût marginal zéro », va-t-elle avoir raison du «vieux » capitalisme ?

Frédéric Hourdeau

News

le 27/09/2014 à 22h00

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C’est ce qu’affirme Jeremy Rifkin dans sa dernière publication «La Nouvelle Société du coût marginal zéro » parue en librairie en France  le 24 septembre 2014. Après avoir annoncé la troisième révolution industrielle, le prospectiviste Jeremy Rifkin prédit le déclin du capitalisme, éclipsé par l'Internet des objets et l'économie solidaire.

Quel est le point commun entre l'Internet des objets, les énergies renouvelables, les logiciels libres, l'économie sociale et solidaire, l'intelligence artificielle et les imprimantes 3D ?

Pour le prospectiviste  américain, tous ces phénomènes convergent pour transformer en profondeur l'économie mondiale telle que nous la connaissons.

Ils préfigurent une société où le capitalisme sera éclipsé par les mouvements collaboratifs et la production à petite échelle.

Publié en mars aux USA sous le titre « The Zero Marginal Cost Society » son travail reprend les thèmes déjà abordés dans plusieurs livres qui l’ont rendu célèbre (1).

Mais ce nouvel essai, plus abouti, actualise ses prévisions  à la lumière des dernières tendances technologiques et sociétales.

Le point de départ est l'idée que les nouvelles technologies, en réduisant quasiment à néant les frais de stockage et de distribution, viennent saper le modèle capitaliste.

Né avec la révolution industrielle, le capitalisme reposait sur des investissements massifs, rémunérés grâce aux gains procurés par les économies d'échelle.

Pour Rifkin, en réduisant quasiment à néant le coût marginal (c'est-à-dire le coût de production d'une unité supplémentaire), Internet change complètement les données de l’économie de marché traditionnelle.

L’exemple de la communication de masse et collaborative :

Le premier exemple qu'il donne est celui de la communication : « Un tiers de l'humanité publie déjà ses propres informations avec des téléphones ou des ordinateurs relativement bon marché, et peut l'échanger sous forme de vidéo, de son et de texte à un coût marginal proche de zéro. »

Après avoir bouleversé les médias, Internet diffuse dans tous les secteurs.

ð L'éducation se transforme déjà grâce aux Mooc, les cours en ligne donnant accès à des professeurs de haut niveau pour un coût quasi nul.

ð Le « crowdfunding » (financement participatif) et le microcrédit court-circuitent les acteurs traditionnels de la banque et de la finance.

ð  Même l'énergie, secteur capitalistique par excellence, va devoir s'adapter à un modèle où chaque individu peut devenir « prosumer », c'est à dire à la fois producteur et consommateur, grâce aux énergies renouvelables et aux réseaux intelligents

A noter que ce dernier exemple constitue une thèse au cœur de son  précédent livre qui a fait de lui un « gourou » de la transition énergétique, sollicité notamment par la Commission européenne ou la région Nord - Pas-de-Calais (2).

Un monde sans travail  (ou moins) ?

« The Zero Marginal Cost Society » va jusqu’à prophétiser  que les objets eux-mêmes finiront par avoir un coût marginal quasi nul et que leur production sera, en tout cas partiellement, assurée à l'échelle locale grâce aux progrès de l'impression 3D.

Avec leurs capteurs connectés à Internet, les objets seront également plus durables, et pourront efficacement être mis en commun.

Une économie du partage :

La vision technologique de la thèse s'accompagne d'un volet sociétal tout aussi important pour Rifkin : l'émergence d'une économie du partage.

Né avec le logiciel libre, le mouvement collaboratif est en train de se répandre dans tous les domaines au même rythme que la révolution numérique :

« Comme la production ne coûte presque plus rien, l'échange va se généraliser et devenir une valeur primordiale pour la génération du millénaire ».

A partir de là, Rifkin associe dans un même mouvement l'essor de l'économie sociale et solidaire et le succès des services de partage en citant comme exemple Airbnb (locations partagées) ou Uber (mais il vaudrait mieux parler du covoiturage puisque Uber fonctionne désormais selon les « vieux » schémas !).

L’intelligence artificielle :

Cette révolution collaborative devrait, selon Rifkin, aller de pair avec une tendance qui lui tient particulièrement à cœur : le remplacement des travailleurs par les machines.

 L'intelligence artificielle et la robotique vont entraîner un tel essor de la productivité que les usines, les magasins et les bureaux auront besoin de moins en moins de bras et de cerveaux.

Vingt ans après la parution de « La Fin du travail », très critiquée à l'époque, le prospectiviste peut en partie constater que l'histoire semble lui donner raison, avec, partiellement, en contrepartie, une montée inexorable du chômage,  ce qui n’est pas sans poser problème dans nos types de sociétés fondées sur les anciens schémas d’organisation et de répartition.

Pour lui, il ne faut pas dramatiser car le nouveau modèle de collaboration libre permettra aux humains de continuer à s'épanouir en dehors du monde du travail actuel, par exemple dans le bénévolat et la solidarité. Tout est question de temps pour passer aux adaptations nécessaires.

Un schéma d’évolution possible ?

On ne peut que s’enthousiasmer face à l’optimisme de Jeremy et sa vision d'un monde « collaboratif »  où l'abondance permettra à l'homme de tourner le dos à une société dominée par l’égoïsme et la seule recherche du profit  caractérisant le capitalisme, censé faire indirectement le bonheur de tous (selon les libéraux) ou à créer la misère matérielle ou spirituelle d’une grande partie de la population selon les anticapitalistes.

Malgré la qualité de ses réflexions et son talent pour décrypter des tendances émergentes, les combiner et leur donner sens en construisant un futur possible, on peut s’interroger sur la pertinence de ses conclusions à savoir que les évolutions technologiques devraient permettre, inéluctablement, et de leur seul fait, de « changer le monde »

On notera que ce que l’on observe aujourd’hui ce n’est  pas tant un dépérissement du capitalisme mais  élargissement du marché à un nombre toujours croissant d’activités humaines. Mais peut-être n’est ce qu’une question de temps,  avec,parallèlement, une telle accumulation d’innovations technologiques qu’elle nous fera franchir un seuil conduisant à un véritable basculement.

Ceci devrait permettre d’ouvrir une large réflexion débat au sein de la communauté des économistes, sociologues, chercheurs, spécialistes de la prospective…mais aussi des « simples »citoyens !

Internet et la nouvelle économie numérique promoteurs d’un nouveau mode d’organisation économique et d’une nouvelle société ?... Le débat est ouvert !

 

(1)             Notamment « La Fin du travail » (La Découverte, 1995) et « La Troisième Révolution industrielle » (Les Liens qui Libèrent, 2011).

(2)            Jeremy Rifkin a produit « master plan » pour faire passer la région Nord-Pas-de-Calais dans « la troisième révolution industrielle », une économie décarbonée. A l'horizon 2050, le Nord-Pas-de-Calais devrait ainsi avoir réduit de 60 % sa consommation énergétique et divisé par quatre ses émissions de gaz à effet de serre.

La troisième révolution industrielle de J. Rifkin s'appuie sur cinq piliers : énergies renouvelables, bâtiments producteurs d'énergie, stockage de l'énergie, réseaux intelligents, transports non polluants.

Reposant sur la déconcentration de la production d'électricité, son modèle vise à transformer chaque bâtiment en microsites producteurs d'énergie, en les équipant de panneaux solaires, de petites éoliennes voire d'une unité de production de biogaz, et à créer des réseaux intelligents.