Le chiffrement des téléphones portables, obstacle aux enquêtes judiciaires ? Dans une tribune, le procureur de Paris met en cause le système de protection des données élaboré par Apple et Google.

En juin dernier, un individu est retrouvé mort près de Chicago. La police a pour seuls indices les deux téléphones portables, un iPhone 6 et un Samsung Galaxy S6 Edge, retrouvés à côté du cadavre. Elle ne parvient  cependant pas à accéder à leurs contenus car ils étaient équipés d’un mot de passe. C’est le point de départ d’une démarche vis-à-vis des deux opérateurs et d’une polémique judiciaire :

Un juge a,suite à cette affaire, en effet demandé à Apple et Google (les téléphones portables de Samsung fonctionnant sous Android) de débloquer les téléphones. Mais les deux firmes lui ont adressé une fin de non-recevoir.

Au motif : Ils n’ont pas accès à la clé de chiffrement, car elle est liée au mot de passe de l’utilisateur, qu’ils ne connaissent pas.

Aussi, dans une tribune signée de quatre responsables européens et américain de la lutte contre la criminalité, publiée la semaine dernière dans le New York Times, ceux-ci accusent Apple et Google d'entraver leurs enquêtes.

Dans ce texte, le procureur de la République de Paris, François Molins, le procureur de Manhattan Cyrus Vance, le préfet de police de Londres Adrien Leppard et le procureur de la Haute Cour espagnole Javier Zaragoza, reprochent aux deux géants de la Silicon Valley d'avoir mis au point des systèmes de chiffrement empêchant l’accès aux données des téléphones portables équipés de leurs derniers systèmes d'exploitation... soit « 96 % des smartphones » dans le monde.

Depuis les révélations d’Edward Snowden sur la collecte de données par la NSA, les deux entreprises californiennes ont renforcé la protection des données de leurs utilisateurs, permettant ainsi à ces derniers de chiffrer leurs textos, photos, contacts...

Le chiffrement automatique chez Apple (iOS 8)

Pour son nouveau système d’exploitation iOS 8, lancé en septembre dernier, Apple a opté pour un chiffrement automatique.

Dans les précédentes versions, le système comportait toujours au moins une clé déchiffrable, qui permettait à Apple d’accéder à certaines photos ou e-mails, en cas de demande de la justice.

Après avoir annoncé un système équivalent, Google a lui reculé en mars dernier. La nouvelle version de son système d’exploitation, Lollipop, permet désormais aux utilisateurs de choisir cette option, mais le chiffrement n’est pas installé par défaut.

Seules les dernières versions des téléphones produits par Google, comme le Nexus 6 et 9, possèdent un chiffrement par défaut.

Respecter un juste équilibre entre vie privée et sécurité

Les auteurs de la tribune estiment que « ce chiffrement total limite significativement notre capacité à enquêter sur ces crimes et ébranle sérieusement notre efficacité dans la lutte contre le terrorisme »

Ils rappellent qu'ils ont légalement le droit d’accéder aux lieux où les criminels ont caché des preuves, y compris « leurs maisons, leurs coffres de voitures, leurs caves, leurs ordinateurs et leurs réseaux numériques », que l’accès à ses éléments privés est encadré par une décision judiciaire garantissant les libertés.

Ainsi, selon eux, l'accès aux données des smartphones a été vital » pour les enquêtes dans le cadre des attentats ayant touché la France en janvier dernier.

Mais ils ont été bloqués dans de nombreux autres cas : ainsi, entre octobre 2014 et juin 2015, les enquêteurs du district de Manhattan n’ont pu accéder aux données de 74 iPhones tournant sous iOS 8, écrivent-ils.

On rappellera, cependant, que les données peuvent parfois être accessibles par d’autres voies : les données des iPhone sont souvent transférées sur iCloud, le service de stockage d’Apple.

L’historique des numéros appelés et reçus ou la localisation sont également disponibles auprès des opérateurs téléphoniques.

Mais, déjà, aux USA, le directeur du FBI, James Comey, avait dénoncé en juillet le chiffrement pratiqué par l’application de messagerie instantanée Whatsapp et réclamé un débat sur le chiffrement imposé par les entreprises privées.

Par contre, c’est la première fois qu’un responsable français de haut rang se prononce à ce sujet.